L’Association pour une solidarité syndicale étudiante n’est plus

Je m’excuse d’avance auprès de notre lectorat pour la saveur locale de ce billet, mais je suis persuadé qu’il peut en apprendre quelque chose.
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L’ASSÉ est morte. Oui, vous avez bien entendu. Le syndicat étudiant « radical » a déployé le drapeau blanc de la défaite et de la rédition devant la puissance de l’État bourgeois. En effet, l’ASSÉ s’est ralliée à l’idéologie libérale et a adoptée une position soumise. Oui, oui. L’ASSÉ revient sur ses principes fondamentaux et les balance au bout de ses bras.

Christian Pépin, le « révolutionnaire » provenant de l’AFESH-UQÀM qui clâmait haut et fort qu’il serait stratégique de s’assoir avec l’État et de discuter, a réussi à imposer son point de vue libéral. Zizek lui couperait les couilles. Mais, il ne faut pas pointer Pépin comme le mal à se débarrasser. Non. Ce n’est pas lui le problème. C’est l’ensemble des gens qui acceptent de telles orientations idéologiques.

Ici, il faut se demander « mais que s’est-il passé ? »

Nous pouvons commencer en évoquant les nombreuses défaites que subit l’ASSÉ depuis 2005, en particulier les échecs des luttes menées par l’AFESH-UQÀM. Mais cela est moins une cause qu’un symptôme. En effet, les défaites sont symptomatiques de la structure même de l’ASSÉ, de ses composantes. Il est clair que ce syndicat s’inscrit dans la logique de collaboration de classe. L’ASSÉ est une syndicat estudiantin. La caractéristique première du statut estudiantin est l’ascension sociale à travers l’obtention de diplômes décernés par les institutions bourgeoises de l’éducation. Tel est le rapport social qu’entretien une personne faisant des études avancées avec sa société: obtenir un diplôme et entrer en compétition sur le marché du travail, donc compétitionner avec ses ancien(ne)s collègues. Les individus poursuivant des études en sciences humaines oublient malheureusement souvent ce fait étant donné le caractère critique de leurs études. Malgré cela, les intérêts du groupe demeurent les mêmes dans l’ASSÉ: améliorer toutes les conditions permettant l’obtention d’un diplôme, phénomène appelé « qualité de l’éducation » dans le jargon de l’ASSÉ.

Analysons l’ASSÉ plus en profondeur maintenant.

1) Une guerre de discours

Un premier problème de l’ASSÉ, à notre avis, est le suivant: le syndicat est pris dans une logique de bataille de discours. En effet, entre autres à cause de la formule Rand (obligation d’adhésion au syndicat local), les associations étudiantes membres de l’ASSÉ sont prises dans une éternelle bataille de discours. À chaque enjeu, il doit y avoir un énorme travail de mobilisation et de conscientisation des membres afin de les convaincre que la lutte est nécessaire. Ensuite, selon les méthodes maintenant abandonnées par le syndicat, il doit y avoir bataille d’opinion dans les médias, convaincre les citoyens (de toutes classes sociales) qu’il y a « débat de société » (compromis de classes) et se battre contre les décisions ainsi que la répression des gouvernements le temps que le débat se résout.

Par contre, la guerre de discours est un effet de surface. Elle existe à cause de la condition suivante.

2) Le syndicalisme de combat étudiant est un idéalisme

Encore une fois, l’ASSÉ se retrouve prise dans le monde des idées. En effet, il est d’ailleurs peu surprenant que l’ASSÉ s’assoit en commission parlementaire. Voici pourquoi. Le syndicalisme de combat est une épuration de la lutte des classes en une tentative d’universalité. En d’autres mots, c’est un emprunt de l’idée de combat du monde du travail syndiqué. Les prolétaires s’organisent en syndicat et luttent car leurs intérêts de classe sont en contradiction avec les intérêts bourgeois, la lutte étant l’expression des contradictions au sein des relations sociales de propriété. L’ASSÉ transpose le modèle de lutte syndicale sur le monde étudiant en ignorant le rapport qu’entretien l’étudiant(e) et la société. L’étudiant(e) n’est pas une classe, le résultat de contradictions dans les rapports sociaux. L’aliénation du prolétariat, c’est la perte de son humanité pour n’être que du capital. L’aliénation du prolétariat, c’est ne pas avoir d’autres options que de vendre sa force de travail pour survivre.

Certes, l’État détient les moyens de production intellectuelle. Certes un(e) étudiant(e) peut vivre dans des conditions de survie. Par contre, il demeure évident que la condition matérielle d’existence n’est pas directement liée aux études. Il faut des rentes, un emploi, des prêts ou des bourses pour vivre. Les bourgeois vont à l’université et reproduisent leur classe sans problème tandis que les prolétaires se battent de peine et de misère pour décrocher un diplôme. En bout de ligne, l’appartenance de classe est prépondérante dans l’accès à la diplomation ainsi que dans le positionnement sociopolitique postdiplomation.*

Nous apportons le point précédent pour la raison suivante: l’idée de « qualité de l’éducation » est déterminée idéologiquement par la classe et non pas par le statut d’étudiant(e). La bataille pour l’éducation fait donc partie de la lutte des classes et non pas d’une lutte étudiante quelconque. Les militant(e)s de l’ASSÉ font une grossière erreur en pensant transposer le modèle de lutte propre à la lutte des classes, une lutte matérielle, à leur organisation qui, elle, n’est pas prolétaire.

3) D’une bataille contre la bourgeoisie à une bataille pour la reconnaissance

L’ASSÉ, même si toute cette histoire de syndicalisme de combat étudiant pouvait être prolétaire, demeure dans une impasse. Dans la logique de l’ASSÉ, le combat se fait contre l’État. L’objectif est de faire plier l’État avec des luttes lorsque celui-ci brise le statu quo. L’objectif ultime est la gratuité scolaire et l’autogestion (une position adoptée récemment qui se résume par une gestion des institutions d’éducation par les individus directement concernés); il ne s’agit pas d’une remise en question des autres rapports sociaux et de l’État. Le pathétique de cette histoire est que ces objectifs ne sont pas eux-même l’objet de luttes violentes acharnées, démontrant ainsi que le quotidien des études visant la diplomation est plus important que la transformation radicale des rapports sociaux vers un socialisme (on ne parle même pas de communisme ici !)

De plus, cet État est l’interlocuteur, le maître et le garant de la reconnaissance des luttes étudiantes. Il s’agit d’une bataille de reconnaissance plutôt qu’un combat pour la réappropriation matérielle. L’ASSÉ ne cherche ni à imposer son idéologie politique, ni exercer le pouvoir en s’appropriant le politique. En d’autres mots, le ministère de l’éducation doit reconnaître les positions de l’ASSÉ. Nécessairement, il ne reste pour se battre que des discours.

4) Le compromis de classes

Étant donné que l’ASSÉ n’est pas une organisation de prolétaires, elle doit s’assurer des allié(e)s provenant de la bourgeoisie. La position de gratuité scolaire vise à séduire les socio-démocrates et les libéraux de la lignée d’Adam Smith, de John Stuart Mill et de John Meynards Keynes (libéraux pour qui l’éducation publique est très importante). C’est ainsi que l’ASSÉ arrive à un compromis de classes dans son organisation nécessaire à sa survie, mais rendant pratiquement impossible toute transformation des rapports sociaux.

En conclusion, l’ASSÉ est une perte de temps. Les luttes s’arrêtent d’elles-même, car les étudiant(e)s ont quelque chose à perdre (contrairement au prolétariat qui n’a rien à perdre) ou la violence d’État remet à sa place les dissident(e)s (minoritaires). Des politiques socialistes sont impossibles à obtenir, le statu quo est rarement obtenu et ne sont obtenus que des compromis partiels ralentissant la libéralisation, mais ne la freinant pas. Il serait infiniment plus stratégique, radical et efficace de s’engager dans un parti révolutionnaire où la position idéologique colle exactement aux conditions matérielles. Exercer le pouvoir et défendre celui-ci par tous les moyens, telle est la façon qu’un(e) révolutionnaire doit agir.

*Voir l’excellent The State in Capitalist Society (1969) de Ralph Miliband.

3 Réponses vers “L’Association pour une solidarité syndicale étudiante n’est plus”

  1. Déchet social Says:

    L’impasse d’un mouvement étudiant

    Effectivement, il faut avouer que les étudiant-e-s proviennent de classes sociales différentes et que nombreuses sont les personnes qui désirent vivre la mobilité sociale ascendante au sein de la société actuelle.

    Il existe trois grandes associations étudiantes nationales: la FECQ-FEUQ, l’ASSÉ et la TaCEQ. Déjà, il y a des divisions. Aucune ne propose cependant un modèle d’éducation en dehors de la démocratie libérale et du système économique capitaliste. Ce ne sont que des réformes qui sont encouragées (et même encore). Actuellement, on prône des coalitions, une participation en commission parlementaire et des manifestations gentilles pour faire entendre nos revendications. Jamais le «mouvement» étudiant n’aura jamais été aussi démoli.

    Peut-on militer dans nos associations étudiantes respectives même si l’on désire une lutte armée contre l’État et la bourgeoisie? L’ASSÉ regroupe les assos ayant le plus de potentiel de lutter. Il suffit qu’en tant que «intellectuel-le révolutionnaire» (lol), de conscientiser les étudiant-e-s et les amener à adhérer à un projet d’éducation populaire, puis enfin, à renverser le système par des moyens féroces! Malheureusement, le milieu étudiant est envahi par cette attitude de carriériste. Vite, il faut un diplôme pour atteindre le marché du travail pour faire la piastre!!

    C’est là que nous constatons les limites de la lutte étudiante. En somme, j’ai tenté de trouver des alternatives, mais je suis complètement d’accord avec le billet.

    R.I.P. ASSÉ et à son grand gourou porte-parole, M. Pépin.

  2. On a ici un bel exemple de «plus radical que moi tu meurs» qui mène directement à un cul-de-sac, à l’impuissance et à l’abandon de toute forme de lutte concrète.

  3. Déchet social Says:

    Nicolas, je ne vois pas en quoi cela nous mène à abandonner toute forme de lutte concrète. Est-ce qu’on peut prétendre que de se balader candidement dans les rues en scandant des trucs réformistes est en quelque sorte, une forme de lutte?

    Il n’est pas interdit d’agir en dehors du «mouvement» étudiant.

    Le 15 mars est là pour agir contre les «prolétraitres» et le 1er mai, on peut agir contre le capitalisme. Il suffit de réunir une masse de gens: informée, conscientisée, organisée et armée. La lutte doit s’articuler autour de revendications révolutionnaires et elle doit être permanente jusqu’au renversement.

    L’ASSÉ peut-elle permettre un projet aussi ambitieux? On pourrait améliorer notre condition actuelle par des espoirs fantaisistes de faire incliner le gouvernement sur des projets de loi sur la gouvernance en déclarant une autre grève étudiante. Le brandissement de pancartes et l’occupation d’une moitié d’étage dans un pavillon quelconque peuvent vraiment changer nos conditions matérielles!

    Que peut-on faire pour l’instant? Sombrer dans le nihilisme récurant qui affecte la classe petite bourgeoise étudiante fatiguée d’apprendre, omnubilée par l’action directe dans les assos étudiantes et au sein des partis politiques pour engraisser l’idée que nous transformerons la société! Oui, nous qui composons la relève de demain, l’élite éclairée «gô-gauche wannabe»!!

    Maintenant, on propage des idées et ces idées doit se concrétiser réellement. La lutte nous est inhérente.

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