La haine des lumpenproletaires

Punks, sans-abris, « anarchisss », « marginaleux de la société démokratik »… tous les qualificatifs sont bons pour pointer du doigt la poussière à balayer selon la bourgeoisie québécoise et leurs vassaux. Ces dernières années, cette peur de ces gens non-conformistes au moule capitaliste, ou en contradiction avec la question du travail (ils et elles sont vuEs comme des sous-prolétaires nuisibles, des terroristes urbains même qui n’apportent rien, et n’ont aucune capacité à apporter quelque chose « d’utile » à la société. En d’autres termes : d’être rentables pour le Capital).

Ces qualificatifs orthodoxes qui inondent les mass-medias poubelles depuis les dernières années alimentent une crainte qui était jusqu’alors presque absente de la réalité urbaine. Il est possible de lire dernièrement dans le journal La Presse, section Forum, avec l’énorme titre Malaise sur Montréal où quelques lecteurs et lectrices aux pensées fascistes ont vomi leurs élucubrations concernant la grande métropole. Par exemple :

J’habite à Montréal depuis 10 ans et j’ai honte d’inviter les gens de l’extérieur. Je ne trouve pas d’explications pour excuser ces deux irritants majeurs : impossible de se garer sans se casser la tête ou de marcher sans être sollicité [abordé par les sans-abris]. […] J’en ai marre de faire l’épicerie pour me faire quémander de l’argent. Il est doublement frustrant pour moi de savoir que la plupart des « sans-abris » ont un logis, sont nourris, reçoivent l’aide sociale et gagnent (beaucoup) plus que le salaire minimum. […] Qu’attendons nous pour appliquer des lois plus strictes à ce sujet ?

– Cynthia Cayer

L’idée véhiculée dans le petit texte d’opinion est claire : fascisme. Les sous-prolétaires riches et parasitaires; la fierté micronationaliste (municipalisme) affligée; l’individualisme heurté par la pauvreté grandissante des rejetéEs de la ville, il faut donc agir et appliquer l’Ordre pour chasser ces coquerelles. Le problème vient donc de ce qu’elle « n’aime pas », qui « la dérange dans sa routine [aliénée] » et dont la logique capitaliste en fait pervertir la réalité à l’immédiat. L’État doit donc intervenir.

Une autre lectrice crache sur la même « catégorie » de personnes (si l’on peut ainsi la nommer pour se comprendre) :

L’autre jour, au parc de la Paix, une femme criait, nue de la taille aux pieds. Mon conjoint et moi pensions qu’elle avait été violée [!]. Non, elle faisait partie du groupe habituel [!] d’alcooliques, prostitués, proxénètes et sans-abris qui trainent au parc. Elle avait échappé le contenu de sa bouteille d’alcool sur elle, on pense, et avait tout enlevé. Nous marchons constamment dans du vomi, trouvons des seringues, des bouteilles, matelas, sacs de couchage, urine et j’en passe. La police nous dit qu’Elle ne peut rien faire, sauf leur demander de quitter les lieux [!]. L’attitude de tolérance de la Ville de Montréal est la source même du problème.

– Kim Godbout-Sundby

Même idée véhiculée encore ici : fascisme. Les sous-prolétaires, toujours ces cafards et vermines sociétaires, sont des alcooliques, des prostituéEs, des vampires du sexe et des quêteux-euses qui nuisent à la bonne vie conforme et aliénée du gentil petit peuple paysan. Quelle en est la cause ? La tolérance de l’État et des réactionnaires de la Mairie de Montréal bien sûr !

Qu’ont en commun ces deux exemples ? L’absence de remise en question des causes de la pauvreté, de l’asocialisation et, par conséquence, de sa marginalisation.

Pourtant, cette problématique sociale existe depuis fort longtemps et s’accentue continuellement avec la mondialisation et capitalisation de la planète sur tous, tous, tous ses aspects. La répression augmente, les subventions pour lutter contre l’itinérance et la pauvreté stagnent (voire baissent), la « chasse aux pauvres » vers des milieux plus éloignés s’accentue et la surculpabilisation des sous-prolétaires est encouragée. C’est l’équivalent de dire que les personnes sur l’assistance sociale sont toutes représentes de tous les maux de la société québécoise, et que c’est de leur faute si l’économie va mal.

Marx et Engels détestaient ce qu’ils nommaient le Lumpenproletariat (que nous pouvons vulgairement traduire en sous-prolétariat) en raison de leur position de dominée face à la bourgeoisie qui les nourrissaient de miettes, devenant ainsi un sous-produit de la contre-révolution lors des insurrections du 19e siècle. Sans conscience de classe, les sous-prolétaires agissaient de la sorte pour protéger leur seule subsistance au détriment de la mort. Les sous-prolétaires étaient donc, faute de révoltes des prolétaires, achetéEs à très bas prix par la bourgeoisie et l’aristocratie dans les rangs de l’armée pour tirer sur les prolétaires en grève.

CertainEs révolutionnaires continuent à cracher sur cette classe sociale qui constitue plus d’un milliard d’être humains sur la planète. Rappelons que le contexte actuel au Québec n’est pas du tout celui du 19e siècle en Europe. Les sous-prolétaires québécoisEs, bien qu’archaïques dans leur organisation et mode de vie, contiennent un potentiel révolutionnaire qui se doit d’être exploité. Mais tant que le capitalisme vivra, l’existence d’un sous-prolétariat persistera. Pour y mettre fin, le capitalisme doit être mis à mort et seule l’insurrection le permet !

Autrement, vous pouvez toujours continuer à ignorer ou fuir unE sous-prolétaire ayant la même utilité qu’une mouette.

Dangereux criminel

7 Réponses to “La haine des lumpenproletaires”

  1. Putsh ! À ki ? Says:

    Tu constates par toi-même les limites de l’analyse marxiste et de sa perspective révolutionnaire : la seule considération pour le lumpen tient dans l’espoir qu’il développe une conscience de classe de type ouvrière ce qui, vu sa désaffiliation d’avec le marché de l’emploi et son niveau de « survie », est très improbable.

    Mais anyway, la classe ouvrière n’est plus qu’une classe « en soi », alors attendre que le lumpen développe sa conscience de classe sans que ça ne devienne une conscience de consommateur, ça a de quoi nous rendre tous fous !

  2. Cynthia Cayer Says:

    Il y a la voix du peuple (la mienne), jeune paumée qui en arrache pour vivre et qui aide le mieux qu’elle peut son prochain, mais qui SVP n’a pas envie de se faire quêter!
    Et il y a la voix des intellectuelles qui analyse et pense connaître des réponses… Mais qu’elle est ta solution? Aucune! Alors qu’en réagissant, en disant tout haut ce que beaucoup pense tout bas, j’essaie à ma manière de dénoncer une réalité: des paumés plein la rue!
    Les ressources il y en a, car je les connais et les ai utilisés. Alors lire des écrits de quelqu’un qui se permet une analyse sociologique en utilisant un exemple de la presse qui comme on le sait, est un journal à sensation…
    J’ai voulu faire sensation, mon objectif est atteint. Le tient? Je ne pense pas…

  3. D’abord Cynthia, merci de visiter mon blogue et d’y laisser un commentaire. J’apprécie la provocation, le jugement et la critique. Je t’encourage à continuer.

    Je comprends que tu n’as pas envie d’être quêtée : tu n’as presque pas de sous. C’est justement ce que j’écris dans ce billet : le « quêtage » continuera tant et aussi longtemps que le capitalisme existera. Ce n’est pas en augmentant la répression que les sous-prolétaires cesseront de demander des miettes ; au contraire, c’est en détruisant le capitalisme où justement la bourgeoisie donne des miettes aux sous-prolétaires que cette situation cessera et se transformera, selon moi, pour autre chose.

    Ma solution est donc celle-ci, une solution que je répète dans tous mes billets (si tu as pris le temps de lire parce qu’il y en a plus de 70 en trois mois) : l’organisation, l’armement, le financement, la planification, l’insurrection, la guerre des classes, la révolution. Ensuite s’ensuit de la dictature du prolétariat (que les libertaires n’arrivent pas à concevoir), et le communisme en finalité (qui est pareil à l’anarchisme).

    Les ressources pour sortir de la rue, en effet, il y en a. Mais comme je l’ai écris : les coffres d’aide baissent et deviennent de plus en plus insuffisantes. C’est une situation alarmante, mais la préoccupation de cela n’est guère existante sauf pour les travailleurs et travailleuses dans ce milieu. Je pense que tu travaille dans ce domaine d’aide aux démuniEs, non ?

    Mon but n’est pas faire de la sensation en tant que tel, mais d’agiter et de pousser les gens qui me lisent à prendre les armes et se révolter. Parfois ça marche, parfois non. Ça dépend des sujets traités et du contenu des billets.

    • déchet social Says:

      Agitateur, tu affirmes qu’ «Ensuite s’ensuit de la dictature du prolétariat (que les libertaires n’arrivent pas à concevoir), et le communisme en finalité (qui est pareil à l’anarchisme)», mais comment peut-on parvenir à une société égalitaire si l’on admet la dictature du prolétariat? Toutefois, je suis bien d’accord pour amorcer une lutte contre l’État bourgeois et son appareil de répression ainsi qu’un soulèvement peut anéantir ce foutu système économique capitaliste.

      « Les luttes contre les privilèges économiques, les inégalités sociales, les injustices politiques n’ont de sens que si elles débouchent sur une société nouvelle, effectivement contrôlée par toutes ses composantes humaines, résultat de leur volonté et de leur entente, et non pas sur un système où l’oppression n’aurait changé que par la nature des bénéficiaires » (Luis Mercier-Vega).

      Bref, c’est une nuance importante à mon avis pour concevoir comment la nouvelle société peut être érigée. J’ai également de la difficulté à comprendre ta comparaison entre un sous-prolo et une mouette…

      • Salut camarade.

        La dictature du prolétariat est le passage du capitalisme vers le communisme (ou anarchisme en toute finalité) : le socialisme. Dans cette transition, il est nécessaire d’établir la dictature pour empêcher la bourgeoisie de renaître de ses cendres. En d’autres termes, la dictature du prolétariat est une transformation forcée et maintenue des conditions matérielles d’existences qui empêcherait toute possibilité à la bourgeoisie de reprendre le contrôle comme se fut le cas en ex-URSS et dans la Chine de Mao suite à sa mort.

        Sans dictature du prolétariat, les conditions matérielles d’existences ne changeront pas et la bourgeoisie reviendra tout bonnement dans sa position de domination pour continuer son exploitation. C’est un aspect socioculturel important puisque l’on ne change pas les conditions de vie en une journée (comme l’exemple de l’idée du Grand Soir chez certains anarchistes).

        La dictature du prolétariat est un pilier pour maintenir solidement et fermement le pouvoir aux soviets. Sans ça, c’est voué à revenir dans le capitalisme.

        Pour ce qui est de la mouette et du sous-prolétaire, c’était une façon provocatrice de démontrer comment la société capitaliste et les aliénés de celle-ci le voyait. À ses yeux, pour les aliénés prolétaires, le sous-prolétaire est agaçant et se nourri de miette sans jamais nous lâcher prise.

  4. Putshtaki Richartineau Says:

    Si les débats enclenchés dans La presse se poursuivent sur ce blogue, j’exige que les débats que nous lançons se termine dans La presse, avec où sans leur accord…

    hum… 😦

  5. les lupem ne sont-il pas un peut ou en partie (ou une partie) des ex-prolétaire?

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